S’agissant des migrants, réfugiés, demandeurs d’asile et autres exilés…

Derrière chaque mot, il y a en embuscade ce que l’on pense, au-delà des revendications ou de l’argumentaire affichés, et en creux, ce sur quoi on ne s’engage pas. Qui ne dit mot consent.

Alors on s’est demandés « Qui dit quoi ? » s’agissant des personnes étrangères venant en Europe pour s’y installer et on a eu envie d’aborder la question de façon objective et quantitative, au-delà du match « migrant » versus « réfugié », alternative très débattue dans les médias ces derniers mois [1].

On a relevé quelques 1 200 références, communiqués, appels, pages d’actualité, newsletters, articles de presse… d’acteurs institutionnels, politiques, syndicaux, associatifs, collectifs, médiatiques… pour décompter dans un tableur les occurrences de différentes expressions : « migrant », « réfugié », « demandeur d’asile », « exilé », « sans papiers », « étranger », « immigré », « débouté », « clandestin » [2].
On a traduit en dessins les pourcentages obtenus (En chiffres) et restitué ainsi des topologies des positionnements des uns et des autres mettant en évidence proximités, voisinages et oppositions.

Deux aspects discriminants ont semblé pertinents pour positionner les locuteurs :
1/ L’alternative entre « migrant » et « réfugié », les termes ultra-dominants chez la plupart ;
2/ La distinction entre un langage pauvre se limitant à l’un et/ou l’autre de ces deux mots et un langage riche élargi à une pluralité d’expressions, cette diversité relativisant l’alternative entre « migrant » et « réfugié ».

Qui dit quoi?… Diversité de langage

Les dessins sont construits sur ces axes.
Verticalement on a placé le rapport entre « migrant » et « réfugié ». Plus on dit « migrant », plus on se retrouve vers le haut et inversement pour « réfugié », vers le bas. Ceux qui les emploient de façon équivalente se placent vers le milieu.
Horizontalement, on a réparti les autres termes suivant différentes oppositions et associations significatives et révélatrices. Plus on emploie les mots placés sur les côtés, plus on se déporte latéralement. Ceux qui se limitent aux termes dominants « migrant » et « réfugié » se situent vers le milieu.

On en a tiré quelques conclusions.

 « Migrant » pour ne pas trier

On dit « migrant » pour ne pas faire de différences entre les personnes suivant les causes de leur migration, même si le mot peut renvoyer implicitement aux migrations économiques [3]. Le terme est à double tranchant.
Certains l’emploient pour n’exclure personne et défendre les droits de tous : associations, collectifs sans papiers, extrême gauche. Les associations testées privilégient toutes « migrant » à « réfugié » sauf Amnesty International et celles para-institutionnelles consacrées à l’asile, France terre d’asile et Forum réfugiés – Cosi.
D’autres l’utilisent pour au contraire disqualifier les personnes et leur dénier des droits, « migrant » ne renvoyant à aucun statut juridique : droite et extrême droite, institutions exécutives, Conseil européen, gouvernement, ministère de l’Intérieur, Mairie de Paris pour ses communiqués de presse…

Ces positionnements sont révélés par les autres mots employés, de « clandestin » marqueur d’extrême droite à « exilé » et « sans papiers » en usage chez les militants et associations (Antagonisme hostile / bienveillant et Topologie des opposants aux défenseurs).

Qui dit quoi?… Antagonisme hostile / bienveillant

 « Réfugié » pour limiter l’immigration

On dit « réfugié » pour faire valoir le droit d’asile et défendre les personnes qui en relèvent. Le terme est assez exclusif, renvoyant à un statut juridique défini par des conventions internationales. Son emploi révèle en creux la distinction marquée avec les personnes qui ne peuvent pas ou plus prétendre à l’asile, qu’elles aient émigré pour d’autres raisons dites économiques ou été déboutées de l’asile.

Disent « réfugié » ceux qui admettent à titre humanitaire une immigration limitée, choisie et filtrée sur critères au cas par cas : associations para-institutionnelles dédiées à l’asile, syndicats, gauche et extrême gauche, Commission et Parlement européens, Mairie de Paris pour son site…

Ceux-là n’emploient pas les mots « sans papiers » et « exilé » utilisés par ceux qui défendent les migrants de façon large, (Antagonisme hostile / bienveillant). Leur parti légaliste sur le droit d’asile les conduit à s’en tenir aux termes juridiques « demandeur d’asile » et « étranger » suivant le dessin Approche juridique / partisan.
Cela revient à une mise en concurrence des « bons réfugiés » politiques et des « mauvais migrants » économiques et autres sans papiers [4]. Quand l’Union européenne dit (accueil des) « réfugiés », c’est pour ajouter aussitôt (retour des) « migrants en situation irrégulière » [5]. M. Rocard ne disait pas autre chose en son temps : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus. » [6].

Qui dit quoi?… Approche juridique / partisan

 De l’alternative entre « migrant » et « réfugié »

Les institutions, les partis, les quotidiens nationaux et dans une moindre mesure les syndicats se limitent de façon prédominante à l’usage de l’un ou l’autre terme. Seule l’extrême droite se singularise avec le mot « clandestin » (Diversité de langage).
Cette pauvreté de langage est à l’image du débat relancé dans les médias après l’annonce de la chaîne Al Djazira à l’été 2015 qu’elle n’emploiera plus le terme « migrant » (Sur le même sujet en annexe). « Migrants et réfugiés : des mots aux frontières bien définies », « Ne dites plus “ migrant ” », « Un “ migrant ” s’accueille comme un “ réfugié ” » (Libération), « “ Flüchtlinge ”, “ migranti ”… Bataille de mots en Europe » (Le Monde), « Réfugié politique, migrant économique : la frontière est fondamentale et mince » (Le Figaro), « François Hollande emploie le mot “ réfugiés ” (et non migrants) » (Slate), « Migrants, le mot qui tue » (Altermonde), « Le terme “ migrant ” est-il un gros mot ? » (Breizh Info), « En Grande-Bretagne, des internautes “ likent ” sans le savoir des citations de Hitler sur les migrants » (RT en Français)… Ou comment esquiver la complexité de phénomènes migratoires multiples en réduisant des réalités humaines diverses et dramatiques à une unique alternative tranchée…

 De l’uniformité de la presse quotidienne

Les cinq grands quotidiens nationaux testés et l’AFP parlent d’une même voix. Ils emploient les mêmes termes dans des proportions similaires et ce n’est pas dû à la reprise des mêmes dépêches d’agence : celles-ci ont été exclues pour isoler les articles et tribunes signés. Ces médias restent groupés serrés sur les dessins… jamais très loin du Gouvernement.

 De la diversité du milieu associatif et militant

Les associations et collectifs sans papiers se distinguent par un moindre emploi de « migrant » et « réfugié » au profit d’une variété d’expressions : « demandeur d’asile », « étranger », « exilé », « sans papiers ». Ce groupe dépasse ainsi l’antagonisme réducteur entre « migrant » et « réfugié » pour restituer la diversité des situations et des enjeux. Amnesty International est la seule qui fasse exception.

Ces associations et collectifs faisant un travail concret au niveau juridique, social, sanitaire… avec les concernés, utiliser le terme adéquat s’impose de façon pratique (Approche juridique / partisan).
On ne prépare pas le dossier d’un « demandeur d’asile » en parlant de « migrant » (aucun statut rattaché à ce mot) ni de « réfugié » (un réfugié a déjà la protection). De même, « étranger » est le terme à partir duquel la législation définit et limite les droits de la personne n’ayant pas la nationalité du pays.

Œuvrant pour la défense et l’accès aux droits des personnes qu’ils voient bafoués, certains sont aussi dans la revendication avec des termes plus partisans (Antagonisme hostile / bienveillant).
« Exilé » inclut largement sans préjuger des causes de la migration quand « migrant » est ambivalent et peut renvoyer à des motifs économiques. Au sens premier on subit l’exil après avoir été banni et interdit de retour [7]. Cependant les migrations racontent aussi des obstacles surmontés, des opportunités saisies, des vies réinventées, des droits conquis… L’emploi du mot reste limité chez ceux qui, refusant tout misérabilisme, mettent en avant le caractère positif et actif des migrations comme chez ceux qui ont pris leurs affaires en main. On ne subit plus quand on choisit de lutter pour ses droits.
Enfin, l’expression « sans papiers » s’est imposée avec l’apparition des collectifs autonomes dans les années 1990. Choisie par ceux-là mêmes qui revendiquent les papiers pour tous, elle est la marque d’une fierté et d’une dignité retrouvées par le refus de la clandestinité.

 Pour conclure

Qui dit quoi?… Topologie des opposants aux défenseurs
Les dessins restituent les oppositions et voisinages prévisibles entre ceux qui excluent, ceux qui trient, ceux qui accueillent et ceux qui défendent la liberté de circulation et d’installation pour tous.

Ils mettent en évidence un langage institutionnel commun disqualifiant auquel ne se superpose pas la parole de ceux engagés activement dans la conquête de leurs droits et dans la solidarité avec les personnes.


Qui dit quoi?… En chiffres


 NOTES
 [1↑] Cf. Sur le même sujet en annexe.
 [2↑] Cf. Sources en annexe. Les textes devaient dater d’entre novembre 2014 et novembre 2015, soit l’année précédant les attentats fin 2015 à Paris, et comporter au moins l’une des expressions « migrant », « réfugié », « demandeur d’asile », « exilé » ou « clandestin », le Front national n’employant parfois que ce mot. Sauf pour les médias, les textes de positionnement, communiqués, appels à action, argumentaires… ont été privilégiés et les pages d’information et d’aide juridique exclues.
Seules les occurrences qualifiant les personnes et les populations ont été prises en compte et non les formes verbales comme « s’est réfugié », « en migrant », les expressions comme « passages clandestins », « demande déboutée » ou celles incluses dans les noms, comme « Haut Commissariat pour les réfugiés ».
 [3↑] Cf. définitions Le Robert en annexe et sur le Portail lexical du CNRTL (cnrtl.fr/definition/migrant).
 [4↑] « Une des stratégies de “ défense ” des États consiste à créer un amalgame entre migrants et “ sans papier ”, demandeurs d’asile et criminels. En attisant la suspicion, en criminalisant ou en déshumanisant les réfugiés, les États peuvent refouler des personnes vers le danger alors qu’ils devraient les protéger. » Amnesty International, « Réfugiés, un scandale planétaire », 18/01/12 (amnesty.fr/Nos-campagnes/Refugies-et-migrants/Dossiers/Refugies-un-scandale-planetaire-4243).
 [5↑] Conseil européen, « Sommet de La Valette de 2015 sur la migration – Contexte de l’action de l’UE », communiqué du 11/11/15 (consilium.europa.eu/press-releases-pdf/2015/11/40802204067_fr_635823250200000000.pdf).
 [6↑] Juliette Deborde, « “ Misère du monde ”, ce qu’a vraiment dit Michel Rocard », Libération, 22/04/15 (liberation.fr/france/2015/04/22/rocard-et-la-misere-du-monde_1256930).
 [7↑] Cf. Le Robert en annexe.

Une réflexion sur “Qui dit quoi ?

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